(BFM Bourse) - Le spécialiste des processeurs graphiques a livré des résultats en ligne avec les attentes au titre de son deuxième trimestre. Mais sa cible de revenus pour le trimestre en cours a déçu les attentes les plus optimistes, en raison d’incertitudes sur les livraisons de puces H20 en Chine.

Une certaine anxiété s’était emparée de Wall Street avant la publication des résultats de Nvidia.

Grand gagnant de l’essor de l’intelligence artificielle (IA), le spécialiste des semi-conducteurs a bénéficié ces dernières années de l’envol de la demande pour ses processeurs graphiques (GPU), devenus primordiaux pour donner la puissance de calcul nécessaire au développement des grands modèles de langage d’IA, comme ceux d’OpenAI, Alphabet ou Meta.

Les comptes de la société fondée et dirigée par Jensen Huang sont devenus le grand baromètre de la demande pour l’IA. Et, in fine, le thermomètre de la puissance de cette thématique en Bourse.

Or, depuis plusieurs semaines, certains investisseurs ont jugé que les valorisations dans la tech américaine s’avéraient exigeantes, d’aucun y voyant une bulle. Ce qui a créé une certaine nervosité autour de la publication de Nvidia. Selon Reuters, les options achetées par les opérateurs de marché en amont des résultats du groupe impliquaient une variation potentielle du titre de 6%, à la baisse comme à la hausse.

In fine, la copie rendue par le groupe n’a pas provoqué d’onde de choc démesurée, mais une simple déception.

"La publication a coincé, mais cela n'a pas été le genre de crash qui laisse des débris sur l'autoroute, plutôt un dos d'âne sur une route par ailleurs dégagée. Les traders ont grimacé, serré la ceinture, avant de réaliser que la voiture continuait de rouler", résume Stephen Innes de Spi AM.

Perspectives de revenus décevantes

L'action Nvidia a terminé en baisse de 3,1% mercredi dans les échanges post-marché.

Le point noir de la publication réside dans les perspectives de revenus pour le trimestre en cours. Pour cette période qui court de début août à fin octobre, la société a indiqué tabler sur un chiffre d'affaires autour de 54 milliards de dollars. Ce chiffre implique une croissance sur un an de 54% pour la période, en décélération par rapport à celles des deux précédents trimestres (56% pour le deuxième et 69% pour le premier).

Cette prévision s'avère, sur le papier, en ligne avec le consensus (la prévision moyenne des analystes) Visible Alpha, situé autour de 53,54 milliards de dollars. Mais Gene Munster, gérant chez Deepwater AM, explique que Wall Street attendait un chiffre plus proche de 55 milliards de dollars et Bloomberg note que certaines estimations étaient logées autour de 60 milliards de dollars.

"Ces perspectives renforcent l’inquiétude quant au fait que le rythme des investissements dans les systèmes d’IA est insoutenable", écrit l'agence de presse.

"La prévision de 54 milliards de dollars de Nvidia ne constitue en rien une catastophe, mais pour une action dont le cours est parfaitement valorisé, être 'en ligne avec les attentes' est synonyme de médiocrité", juge Stephen Innes. "Les bulls (les investisseurs qui mise sur une hausse du titre, NDLR) avaient vu plus grand, et quand on a déjà accumulé 2.000 milliards de dollars de capitalisation boursière depuis avril, atteindre la barre ne suffit pas", a-t-il ajouté.

Nvidia au milieu des tensions géopolitiques entre la Chine et les États-Unis

La perspective de revenus de Nvidia illustre surtout les incertitudes auxquelles le groupe fait face en Chine.

Pour se conformer à un certain nombre de régulations américaines passées sous l'administration Biden, la société avait conçu des puces H20 spécifiquement pour les exporter vers la Chine, un marché florissant pour l'IA.

Mais, en avril, l'administration Trump a introduit des restrictions à l'exportation de ces puces qui reviennent concrètement à les interdire. Au deuxième trimestre de son exercice 2025-2026, qui s'est étendu de début mai à fin juillet, Nvidia n'a en conséquence enregistré aucun revenu lié à ces puces H20. Le manque à gagner pour l'entreprise a été évalué autour de 8 milliards de dollars.

Un certain espoir a pu gagner le marché, toutefois, mi-août. Plusieurs médias avaient alors rapporté que Nvidia et son rival AMD avaient accepté un accord qui leur permettrait de reprendre les exportations de puces vers la Chine, en échange de quoi les deux sociétés reverseraient 15% des revenus tirés de ces exportations à l'administration américaine.

Toutefois, les États-Unis n'ont pas encore concrètement traduit cet accord dans la loi. Colette Kress, la directrice financière de Nvidia, a indiqué mercredi aux analystes qu'"à date le gouvernement américain n'avait pas publié de régulation codifiant une telle exigence (celle de reverser 15% des revenus à l'administration américaine, NDLR)".

En conséquence, Nvidia a choisi, dans sa cible de revenus de 54 milliards de dollars, de n'inclure aucun revenu lié aux puces H20. Colette Kress a toutefois précisé que, dans l'absolu, la société pourrait enregistrer entre 2 et 5 milliards de dollars sur le trimestre de chiffre d'affaires généré par les puces H20, si le groupe parvenait à surmonter les défis géopolitiques. "Si nous recevons plus de commandes, nous en facturerons davantage", a ajouté la directrice financière.

Au-delà-des atermoiements de l'administration Trump, les autorités chinoises incitent leurs grands groupes de tech à mettre la pédale douce sur les produits de Nvidia. Le Southern China Morning Post rapporte ainsi que Pékin a convoqué la semaine dernière des grands groupes comme Bytedance et Tencent pour leur faire part de ses inquiétudes au sujet des achats de puces H20, redoutant qu'elles se traduisent par des fuites d'information.

"Pékin a encouragé l’abandon de l’utilisation de la technologie américaine dans les systèmes d’IA auxquels le gouvernement chinois a accès", souligne de son côté Bloomberg.

Une demande encoure vigoureuse

In fine, le flou autour de l'activité en Chine rend les perspectives de Nvidia extrêmement difficiles à anticiper et à lire pour les analystes. Ce alors que le pays constitue une mine d'or pour la société. Selon des propos rapportés par Bloomberg, Jensen Huang a estimé que le marché pourrait croître de 50% par an et a estimé que la Chine représentait une opportunité à 50 milliards de dollars pour son groupe.

"Le principal obstacle pour Nvidia n'est pas le silicium, mais la diplomatie", a résumé à Reuters Michael Ashley Schulman, directeur des investissements chez Running Point Capital.

"Dans l’ensemble, si l’on prend en compte l’histoire de la Chine et le feu vert donné par la Maison Blanche malgré quelques obstacles, ce trimestre et les perspectives de Nvidia constituent un point de validation supplémentaire pour la révolution de l’IA", veut toutefois croire Dan Ives, analyste chez Wedbush, et indécrottable optimiste.

Ces questions autour des perspectives et de la Chine ont relégué au second plan les résultats de Nvidia pour le deuxième trimestre. Sur cette période, le groupe a dégagé des revenus de 46,74 milliards de dollars, en croissance de 56% sur un an et de 6% par rapport au précédent trimestre. La seule division "data center", celle qui bénéficie de l'essor de l'IA, a vu ses revenus grimper de 56% sur un an à 41,1 milliards de dollars.

Le bénéfice a atteint 26,4 milliards de dollars tandis que le bénéfice par action s'est établi à 1,04 dollar.

Selon un consensus Visible Alpha, les analystes tablaient sur des revenus de 46,4 milliards de dollars, dont 41,25 milliards de dollars. Autrement dit, Nvidia a légèrement manqué les attentes dans sa division phare. Le bénéfice par action était lui attendu à 1,01 dollar.

Brian Colello, de Morningstar ne voit pas d'énorme surprise dans ces résultats. Mais "la demande pour les produits d'intelligence artificielle de Nvidia reste très forte, sans aucun signe de ralentissement", constate-t-il.

"Le chiffre d'affaires (ou son absence) en Chine ajoute à la volatilité, mais nous sommes particulièrement impressionnés par le déploiement de Blackwell Ultra et la forte demande des principaux clients cloud américains", ajoute l'analyste.

Les puces Blackwell Ultra de Nvidia font partie de la nouvelle architecture de GPU Blackwell du groupe, plus performantes et également moins énergivores. La demande pour ces produits accélère, la société ayant indiqué que ses revenus tirés des puces Blackwell avaient progressé de 17% par rapport au précédent trimestre.